Pourquoi je te photographie ?
De ces mille et un visages que l’on croise, de ces mains qui se posent, de ces gestes qui s’affichent à la lumière d’un éclat de vie, que retenons-nous ? Un été passager, un hiver ou un printemps qui s’enfuit, des images chiffrées ou déchiffrées sur des photographies postées aux grés des « . net »
Je suis cette image pixellisée qui me traduit, me survit en plein écran. Je regarde ce miroir tendre ou déformant d’une réalité qui n’existe qu’un millième de seconde. La pose réfléchit par delà mon être la lumière de mes pensées. Je ne suis qu’image parmi les images et pourtant j’exige la singularité.
Couleur ou bipolarité du noir et blanc, mes traits oscillent et vacillent sous l’œil vagabond d’un croqueur d’image, simple passager de mes pensées, de mon regard.
Photographier le temps, se former à déformer la courbe quantique de notre existence, c’est la trajectoire picturale du photographe qui poursuit la recherche du noir absolu perdue. La blue note picture.
Voleur de tendresse ou d’intense tourment, le vent souffle sur les portraits des grains d’envie ou de folie. L’orage d’une image bouleverse retourne ou chatouille .Elle n’est que poésie dans un champ multicolore d’une suite binaire.
De l’imposture des zooms à la féminité marquée des objectifs à focale fixe se dessinent des courbes, des formes, des rides. L’imperfection sublimée des corps en mouvement. Le portrait se sent, se hume comme un nez plongé dans saint Esthèphe sublimé.
Graver, figer dans la matière cet inconnu du moi, du nous aux autres est un exercice factuel de la perception troublée et déformée du monde en gris.
Photographier l’intime regard qui nous est donné pour le noyer dans le magma inintelligible d’une peinture abstraite ou toucher du doigt la sculpture d’argile éparpillée.
La mise en boite, en image de l’autre n’appartient pas à ses acteurs : photographe ou modèle, elle appartient à cet espace monde que l’on visite comme passager clandestin. Une capacité à percevoir le vide dans l’espace infini.
Te Photographier, c’est poursuivre ce rien pour le révéler au tout. L’image n’est pas que la symbolique mystique de l’être, il est présence et immanence, couleur grain et ivresse d’un doute.
C’est pour cela que je te photographie, toi le peintre en bâtiment, le vagabond errant, le misérable politique, l’homme abimé, le comédien ou le voyageur sans bagage. Partage d’une image prise sur le rivage de tes pensées endormies .Tendresse engloutie dans la fragilité de ton regard.
Igor Deperraz